[jeudi 04 septembre]
Quatrième et avant-dernier jour de cette école thématique. Les journées se raccourcissent, les esprits s’échauffent: chaque participant a une journée pour s’approprier et exploiter un protocole visuel en rapport avec ses recherches. Il est trois heures du matin, les ordinateurs s’échauffent : toutes les personnes ayant quelques notions de retouche sont sollicitées pour détourer des personnages… Comme souvent la fin est électrique, les travaux sont des ébauches, pas mal de pistes s’ouvrent. Extraits.
Hélène Bailleul & Didier Favreau : Synchronisations
Les chercheurs s’emparent de la dimension temporelle de la prise de vue pour en proposer détournements, synthèses, accumulations. Le temps sort de sa ligne, s’écarte du chemin, les gens se bousculent, se superposent, se dédoublent, se démultiplient pour marquer non pas le temps mais les temps, leurs déclinaisons, leurs aspérités.
Benjamin Pradel & Erika Flahault: Relative mobilité
Sujet : mobile/immobile
Binôme et objectif commun : une envie de départ de travailler sur la question de la mobilité en général à travers la photographie comme mode d’appréhension de l’espace social à découvrir et expérimenter.
Matériel : pour Erika, un Nicon D5100, profondeur de champ 9, vitesse d’obturation 160, focale 24, et pour Benjamin, un Panasonic DMTC-TZ37 en réglages automatiques.
Un lieu : le pôle multimodal Pirmil à Nantes (trams, bus de ville, cars scolaires et régionaux, vélos en libre service, parking relai, station de taxis).
Contrainte : pour Erika, une prise de vue en plan large et en pied fixe, toute les une à 50 secondes et pour Benjamin une prise de vue rapprochée, non dissimulée et dans le périmètre restreint de la gare.
Intervention sur l’image : technique du détourage, en creux pour Benjamin, en plein pour Erika.
Objectifs singuliers : pour Erika, identifier et visualiser les pratiques de l’espace public différenciées selon le sexe à travers une représentation des trajectoires dans un contexte de mobilité. Pour Benjamin, explorer l’immobilité sociale dans l’espace public en tant qu’élément complémentaire et consubstantiel des logiques de mobilité et de l’impression de mouvement dans la ville.
Intervention sur les images : pour Erika, le détourage des personnes mobiles et leur agrégation sur une image unique vise à représenter les trajectoires des individus. La construction de deux images, l’une avec les silhouettes masculines et l’autre avec les silhouettes féminines, doit permettre d’explorer les éventuelles différences d’occupation et de déplacements dans cet espace. Pour Benjamin, le détourage des personnes immobiles vise à faire ressortir l’impression de mouvement des personnes en déplacement tout en caractérisant l’importance de l’arrêt et de l’immobilité dans le contexte du pôle intermodal figure emblématique de la ville dite « hyper mobile ».
La morale de l’histoire : nous étions initialement hostiles à toute retouche sur les photographies, celles-ci devant représenter au plus proche ce que nous pensions percevoir à travers l’objectif. Au final, l’intervention sur l’image nous a permis d’explorer différentes manières de représenter et d’analyser les mobilités. L’escamotage de l’environnement pour Erika et de personnages pour Benjamin rend compte du caractère relatif des séquences de déplacements homme/femme et mobile/immobile. En outre, elle nous a conduits vers une esthétisation du rendu qui, au-delà de la satisfaction personnelle, nous semble à même de favoriser l’accessibilité de nos propos par un public pour un public plus large.
Gabriella Trotta Brambilla & Rahaf Demashki: Stratification
Nous avons travaillé sur le concept polysémique de stratification, en réutilisant la matière photographique produite pendant toute la durée de l’école MOB’HUMA’NIP. Le travail se base sur la confrontation de deux images complémentaires : la première illustre l’impact de la subjectivité du photographe sur la représentation de l’espace, alors que dans la deuxième l’espace est venu frapper l’imagination du réalisateur de la photographie. Pour représenter ce rapport dialectique, nous avons initié deux démarches complémentaires : un travail sur un fond photographique où l’humain est absent et où nous avons introduit la dimension sociale par le biais d’une silhouette dessinée ; un travail sur une photo qui représente des personnes en mouvement, en y superposant la dimension spatiale par le biais d’une carte territoriale.
Dans cette première image d’une rue périurbaine de Nantes (Rezé), nous avons sélectionné une photo prise en marchant et les yeux fermés, qui n’a pas permis de choisir le cadre mais amplifie en revanche la perception sensorielle du lieu et stimule l’imagination. Le cerveau, privé d’un sens fondamental (la vue), reconstruit une image de la réalité qui est une somme d’informations relatives aux sens (l’ouïe, le toucher, l’odorat, etc.) et à la culture du photographe. Nous avons alors ajouté un personnage dessiné sur la photo, visant à repositionner le marcheur dans l’espace et le resituer dans son contexte.
Dans cette seconde image, nous nous trouvons dans le centre de Nantes (Île de Nantes) face à l’entrée du centre commercial de Beaulieu. Son nom rappelle un toponyme illustrant une qualité spatiale. Une analyse des cartes anciennes a permis d’identifier le moment historique (1900) et le lieu précis (pointe orientale de l’île) où ce toponyme est apparu. La morphologie du territoire à cette époque a donc été superposée à une photo du centre commercial, communément associé au concept de « non-lieu » (Augé, 1992). En outre, cette photographie est prise dans le cadre d’une performance du groupe « Parcours » de l’École Thématique mettant en scène une forme d’appropriation du lieu dans l’entrée du centre commercial.
Lucinda Groueff: Le Prédateur
Sandrine Weglenski: Bancs Publics
Rezé, 4 septembre 2014
On est à la gare routière de Nantes, lieu de croisement de nombreux tramway et bus. Entre 10h et 12h. L’intention était d’observer l’occupation des bancs publics destinés à l’attente des voyageurs. Est-ce qu’ils sont utilisés à d’autres usages que ceux des voyageurs, par des personnes qui y font une halte sur leur trajet piéton par exemple ?
Pour explorer cette question, le protocole photographique choisi était plutôt de l’ordre du comptage en image. Il s’agissait de se positionner en vis-à-vis d’un arrêt de bus et de photographier à distance en plan fixe et en zoom (pour éviter une proximité frontale) chaque arrivée et sortie de personne « dans le cadre », chaque passage de bus et chaque « état des lieux du cadre » après le passage du bus (les personnes restées sur place après le passage d’un bus signalant un usage « détourné » du banc-voyageur).
L’appareil photo a finalement été installé sur un terre-plein accueillant les quais du tramway d’un côté et des arrêts de bus de l’autre, donc dans une certaine proximité de la scène observée mais pas en total vis-à-vis (une parties des usagers étant vus de dos). Le protocole de départ a rapidement trouvé ses limites dans le choix du lieu. D’une part, la station est un important pôle de flux intermodaux qui rend beaucoup moins vraisemblable l’hypothèse de badauds non usagers. D’autre part, les personnes installées sur le banc cadré pouvant attendre d’autres bus (voire le tramway) que celui immédiatement à quai, il n’est pas vraiment possible d’interpréter les « sorties du champ visuel » non consécutives au passage du bus à notre arrêt.
Le protocole a néanmoins été mené et n’interdit pas d’observer certains usages « détournés », comme le cas de ces jeunes gens qui se rencontrent en venant prendre le bus et demeurent sur place plus d’une heure à discuter sans prendre leur bus. Il montre la valse des usagers des transports et quelques figures insolites.
Frédérique Mocquet & Brieuc Bisson
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Expériences photographiques – Jour 1
Expériences photographiques - Jour 2